www.dsih.fr | Mai 2018
Comment un médecin peut-il appréhender un dossier de plusieurs centaines de pages en très peu de temps ? Pour l’y aider, Vieviewer a mis au point une solution d’ergonomie cognitive en santé.
Entretien avec Karan Fouladi, directeur de la recherche de Vieviewer.
Vous êtes directeur de la recherche de Vieviewer : rappelez-nous ce qu’est Vieviewer et en quoi consiste votre travail ?
En deux mots, Vieviewer est une interface utilisateur sémantique et universelle développée pour rassembler les données des systèmes d’information hospitaliers afin de visualiser et de comprendre les informations issues des documents numérisés.
Vieviewer devient une solution de convergence fonctionnelle particulièrement appréciée par les groupements hospitaliers de territoire qui n’ont ni le temps, ni les ressources, ni le budget pour remplacer tout ou partie de leur patrimoine applicatif au nom du principe théorique de la brique applicative unique.
Mon équipe vise à apporter des solutions aux difficultés des médecins, créées par la profusion d’informations contenues dans les dossiers médicaux informatisés. Ces solutions reposent sur les apports de l’ingénierie de la connaissance. C’est à la fois un travail de recherche fondamentale et de recherche appliquée.
Nous avons par exemple publié en 2016, dans la revue IOS Press Ebooks, un article relatif à l’unification des applications et des fondements de l’informatique biomédicale et de santé. Ce travail théorique vise à modéliser le dossier patient en un système de connaissances ; il est le fondement de nos innovations sur la voie d’un dossier ontologique de santé. Nous avons aussi déposé en 2013 un premier brevet et préparons actuellement le dépôt du deuxième.
Ces travaux théoriques aboutissent-lis à des résultats concrets ?
Oui, bien entendu. L’industrialisation est notre objectif premier, que nous menons en collaboration avec le LIG de Grenoble, le LIP6 de Paris VI et le Limics. Par exemple, avec notre dossier ontologique de santé, nous consolidons les informations concernant le patient grâce aux connaissances issues des applications connectées. Nous utilisons la structure des données et les métadonnées fournies par ces applications existantes pour compléter notre référentiel sémantique permettant la classification et la sélection pertinentes des documents. Notre boîte à outils cognitive est ainsi capable d’analyser le contenu des documents pour les traiter ensuite de façon signifiante.
De même, l’interface cognitive de Vieviewer est une innovation directement issue de nos travaux lancés dès 2013. La problématique portait sur la lisibilité des dossiers devenus trop volumineux : Comment un médecin peut-il appréhender un dossier de plusieurs centaines de pages en très peu temps ? Nous avons donc réorganisé, conceptualisé, filtré et représenté graphiquement le dossier du patient en intégrant à la fois une approche cognitive, fondée sur une typologie approfondie des documents, et des aspects très classiques liés au design et à l’interaction dynamique homme-machine. La ligne de temps sur laquelle sont regroupés les documents n’est qu’une des innovations de Vieviewer, avec le concept de conteneur qui est un dérivé sur le plan sémantique du concept d’objet en informatique.
L’interface Vieviewer évolue-t-elle ?
Évidemment, nous cherchons en permanence à apporter aux médecins un support cognitif pour les soulager dans leur réflexion. Nous venons ainsi de mettre un terme à la première version de notre moteur de recherche sémantique qui vise à étendre, sur le plan de la connaissance, la recherche sur le contenu des dossiers des patients. Ce moteur est associé au dictionnaire sémantique de l’ontologie Mesh de l’Inserm pour décupler l’efficacité de la recherche. Par conséquent, pour chaque recherche de documents, nous fournissons aussi les documents comportant des équivalences sémantiques et donnons au médecin la possibilité de poursuivre sa recherche à l’aide des opérateurs logiques « ET », « OU’ et « SAUF ». Ainsi le médecin peut-il parcourir le contenu du dossier de son patient par des « sauts de puce » sémantiques. Nous présenterons aussi au Salon HIT 2018 une série d’améliorations de la visualisation des métadonnées et de la consultation des documents. Nous proposerons par exemple la visualisation du parcours du patient sur une carte pour faciliter sa représentation. Nous présenterons également une consultation comparée de deux documents pour pouvoir facilement identifier les évolutions entre deux tableaux ou deux images. Nous avons par ailleurs identifié la nécessité de gérer au sein d’un dossier un fil d’Ariane permettant de lier des documents entre eux de façon transversale. C’est notamment le cas pour les chutes qui peuvent entraîner une série de documents et d’informations de nature très différente et créer un parcours spécifique au sein du GHT, indépendamment et en parallèle du traitement d’une longue maladie. Se concentrer sur ce parcours, ou au contraire l’exclure de la consultation, est une façon nouvelle d’améliorer la lisibilité des dossiers volumineux.
En outre, nous mettrons prochainement à disposition une évolution structurelle très forte de notre ligne de vie afin de distinguer sur un même écran les prescriptions médicamenteuses des autres documents, ces prescriptions pouvant par exemple être directement fournies par des outils tels que Pharma et Chimio de Computer Engineering ou le dossier pharmaceutique du patient.
Mais peut-on développer de telles fonctionnalités sans les professionnels du secteur ?
Certainement pas. C’est la raison pour laquelle vieviewer réunit régulièrement un comité scientifique, composé de professionnels qui confirment les problématiques médicales et cliniques concrètes sur lesquelles nous travaillons. À ce titre, il est amusant de noter que vieviewer Ressources Humaines, qui est une déclinaison de vieviewer Clinic dans le domaine des ressources humaines, nous a été demandé par un DRH d’établissement qui a d’emblée perçu l’intérêt de remplacer le patient par l’agent, pour constituer un dossier RH complet issu de l’ensemble des applicatifs qui participent à sa gestion. Les managers de pôle ou d’unité fonctionnelle peuvent ainsi consulter la partie du dossier de leurs agents qui les concernent; la DRH de territoire peut désormais appréhender le dossier des agents de l’ensemble des établissements du GHT connectés à vieviewer RH.
Quels sont les apports Immédiats pour les médecins ?
Pour ce qui concerne le moteur de recherche, le médecin peut, par exemple, saisir « Diabète », et le moteur lui propose les documents qui concernent potentiellement cette pathologie et contiennent soit directement ce mot, soit l’un de ses synonymes.
La traçabilité d’un parcours, issu d’un événement particulier tels qu’une chute ou un accident, offre au médecin une dimension supplémentaire de l’analyse qu’il pourra suivre régulièrement, notamment à l’occasion des réunions de concertation pluridisciplinaires qui concernent son patient.
Pour ce qui est de l’affichage chronologique des prescriptions médicamenteuses, il s’agira pour le médecin d’accéder directement à l’information sans devoir pour autant consulter chacune des prescriptions. De plus, le dossier pharmaceutique permettra au praticien hospitalier d’identifier l’état de santé de son patient tout au long de sa vie, et plus particulièrement en dehors de ses séjours en établissement de santé.
À ce titre, nous poursuivons notre mission d’informer et de visualiser la connaissance que l’on peut obtenir du dossier de santé du patient à un moment donné, dans une logique qui se rapproche de plus en plus de celle des médecins.
Quelles sont les orientations de vos recherches futures ?
L’ingénierie de la connaissance connaîtra dans les années à venir de formidables évolutions qui impacteront, d’une façon ou d’une autre, le monde médical et les professionnels de la santé. Vieviewer s’y emploie, et ses clients en bénéficieront; c’est en tout cas notre raison d’être.
C’est pourquoi nous travaillons dès aujourd’hui sur ces technologies pour être en mesure de fournir rapidement aux médecins, non pas des données ou des informations sur l’état du patient, mais des connaissances formalisées suivant leur logique et leur langage. À titre d’exemple, plutôt que d’obtenir le poids et la taille du patient, il est plus efficace d’accéder directement à la connaissance relative au degré d' »Obésité » dans la contexte du patient. L’information est alors traitée par des règles acceptées de tous (les ontologies) pour fournir au médecin une connaissance signifiante, conforme à sa pratique quotidienne. Il est néanmoins essentiel de pouvoir justifier I’ « Obésité » par le calcul de l’indice de masse corporelle et son interprétation, son contexte, suivant les règles médicales unanimement reconnues. Voilà pourquoi nous travaillons d’ores et déjà avec les ontologies les plus courantes, telles qu’OntoUrgence, Mesh ou Snomed CT.
N’est-ce pas là le début d’une coopération SI-médecin?
En effet, l’ergonomie et l’assistance cognitives donneront aux médecins la possibilité de mieux pratiquer leur discipline au service de leurs patients. L’ingénierie de la connaissance apportera aux médecins les bénéfices d’une puissance cognitive supplémentaire qui leur permettra de s’affranchir des tâches les plus rébarbatives (lire le contenu d’un dossier pour en extraire les points saillants) pour se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée (déduire un diagnostic et prescrire une thérapeutique adaptée).